Certains voient dans les rituels qui rythment nos vies quelque chose de rassurant. J’y vois quelque chose de profondément angoissant. Métro-boulot-dodo, une femme, deux enfants, un plan épargne retraite, une mutuelle, une sur-mutuelle, une assurance tout risque, des ennuis malgré ça, voire des grosses emmerdes, une nounou pour pouvoir aller au cinéma le samedi soir pendant que les gosses regardent Patrick Sébastien, une carte fidélité carrefour, un monospace Renault parce que c’est mieux pour l’industrie française, un crédit immobilier, un crédit auto, un crédit pour refaire la terrasse, un crédit pour payer le crédit… Une vie toute tracée en somme en plus d’être une vie à crédit. Parce qu’il ne faut pas se leurrer une fois que t’as tout payé les crédits bah… il ne te reste plus qu’à mourir. Et t’emportes pas ton F5 au paradis. Tout au plus as-tu la satisfaction de le laisser à tes mioches, les ingrats héritiers. Ils le revendront à la première occasion, en reverseront la moitié à l’Etat et utiliseront le reste pour partir au soleil et payer la pension alimentaire de leur ex-femme partie avec les gamins à la première engueulade venue. Oui car ils seront divorcés. Ah ! cette question de l’engagement… Comme si on ne pouvait pas faire des réunions de travail avec sa secrétaire à l’hôtel Ibis de Châteauroux de 14 à 15h… Et puis quelle idée de ne pas s’apercevoir qu’on était suivi depuis la sortie 18 de la N42 par une 205 louche. T’aurais pu le reconnaître ce type, c’est quand même ton beau-frère. Enfin c’était. Bref, tout ça pour dire qu’à la seconde où tu lui as passé la bague au doigt, tu mettais un pied dans la tombe. Au premier gosse, tu mettais le deuxième pied. Et au premier balbutiement du dernier bambin, tu avais de la terre jusqu’aux genoux, jusqu’aux hanches même. Façon sable mouvant. Le sable en moins.
Si l’on connaît la direction, quel intérêt de faire le voyage ? Au fil du temps qui passe, au mieux on est déçu (nos attentes sont toujours trop grandes !), au pire on est mort. Elle est belle l’alternative. Comment concevoir une existence où l’on passerait plus de temps avec ses collègues qu’avec les gens qu’on aime ? (D’où l’idée d’épouser sa secrétaire ?) Ou alors on ne vit que pour ces deux trois instants d’ivresse dans le semestre, à la discothèque de l’Amnesia de Joinville-le-Pont. D’une part c’est peu (et médiocre). D’autre part, comme son nom l’indique, on oublie aussitôt consommé. Donc zéro plus-value ! Fichtre !
Cela fait 3 mois maintenant que je fais le même parcours pour aller au boulot. Pardon de le dire ainsi, mais ce n’est plus possible. C’est juste mortel ce genre de chose. Mêmes heures, mêmes endroits, mêmes actions. Même but. Même trajet en sens inverse, le soir. Non, non, non. Entre le métro et l’entrée du travail il y a 3 rues à traverser. Ce qui veut dire 3 feux de signalisation. J’en suis à connaître par cœur la façon dont ils sont organisés. En gros (je vous résume), si j’ai le vert au premier, je l’ai aussi au second, mais j’attends un maximum au troisième (relou). Alors que si je passe à la fin du vert au premier, j’ai le rouge au second puis le vert (mais ric-rac) pour le troisième. Donc la solution à tout ça (tenez-vous bien et couchez les enfants), c’est de chopper le rouge au premier (oui le rouge, dès le départ), puis la fin du vert au deuxième et là banco, le troisième feu passera au vert PILE lorsque je mettrai le pied gauche sur la chaussée. Et dire que cela constitue une joie en soi. Non, pardon, désolé, mais moi je ne peux pas m’y résoudre. Certains choisissent de ne jamais se poser, c’est le cas du personnage interprété par George Clooney dans In the Air. D’autres choisissent la sur-sédentarité. Existe-t-il un juste milieu ?
Car la sur-sédentarité, merci bien ! Oh certains adorent. Ils sont rassurés par leur connaissance précise des paysages qu’ils traversent. Ils fendent un espace qui leur est familier et qui les épargne de toute mauvaise surprise. Oh, il y a bien quelques événements inattendus qui ponctuent leur trajet. Une merde qui barre le trottoir, une vieille au chignon rigolo, une plaque de verglas qui fait tomber un cycliste, un chauffeur de métro plus déprimant qu’à la normale, un clochard qui a changé de place, une vieille bourgeoise qui s’accroupit sur un trottoir pour mieux pouvoir se maquiller face à un rétroviseur de voiture. Il y a tout ça. Et c’est la seule façon de savoir que l’on ne vit pas EXACTEMENT la même journée qu’hier. Parce que parfois on en est rendu là. Le jour sans fin. Un enchaînement irrépressible d’événements connus. Moi il m’arrive de savoir exactement ce que va faire la demoiselle en face de moi dans le métro. À quelle station elle descend. Quel livre elle lit. Quel parfum elle porte. Elle va au travail aux mêmes heures que moi. C’est un pur hasard. Nous partageons 4 stations de métro à l’avant de la ligne une. Et j’en sais plus sur elle sans lui avoir jamais adressé la parole que sur tant d’autres à qui je parle. Par ailleurs, l’envie de lui parler est totalement absente. Pour se dire quoi ? Pour être convivial ? Et si elle n’était pas du matin, elle serait désagréable. Peut-on s’adresser à autrui sans motif valable ? Sans cause à défendre ? Sans idée derrière la tête ? De manière désintéressée ! Simplement pour dire bonjour. Pour dire, tiens, voilà, nous sommes à côté et parlons la même langue alors… parlons. Je crains que non. À quoi bon ? Et pour ceux qui ne sont pas musicien, ni écrivain et qui ont quand même des choses à dire. Ils sont nombreux. Comment font-il ? Les rockeurs sans guitare, les poètes à la feuille blanche… corps sans âme ? Autant jouer du violon dans le désert, au moins la musique qui en sort s’envole et on peut toujours avoir l’espoir que quelqu’un l’entendra par delà les vents. À Paris, tout le monde court (vers où ?) et t’as beau crier, personne ne prendra le temps de se mettre en retard pour t’écouter.
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