« À la rigueur, oui alors à ce moment-là, on rallonge devant, on laque le côté et du coup on est tranquille pour tout l’arrière.
_ Oui… À la rigueur.
_ Ou alors, à la rigueur, ce que je peux faire c’est mécher l’avant, piquer le dessus et remonter toute la masse capillaire de l’arrière sur le dessus, en chignon. Et après je brushe le reste, à la main – (à l’ancienne).
_ Hmmm… ça nécessite réflexion quand même.
_ Ne craignez rien, c’est très courant, je fais ça tout le temps. À la rigueur, tenez, regardez c’est en une d’Ici Paris Et Maintenant Ici. Même Eva Longoria a choisi cette technique.
_ Eva Longoria est quand même une star internationale, c’est vrai.
_ Voyez. C’est affaire de 50 minutes pas plus. Et après, hop, vous filez sous les bacs. Et là c’est affaire de 3 heures maximum tout compris. 4 maxi, quoi, à la rigueur.
_ Mais il pleut dehors, tout va tomber à l’eau. À la rigueur il faut que j’achète aussi une charlotte pour que ça tienne.
_ Hmmm… ce serait peut-être plus prudent oui. Ou alors à la rigueur pour être tranquille je laque tout, et ça cimente l’ensemble. Bon bien sûr, on risque un petit effet casque. Mais en 2010, c’est le retour du playmobile. À la rigueur ça peut toujours faire son petit effet.
_ Allez, je vous fais confiance.
_ Allez, du coup je vous attaque »
C’est à peu près la conversation que j’eus à subir en attendant mon tour. Je préfère donner les éléments de contexte après le texte nu. Tout simplement parce que sinon, c’est insupportable. Mais il faut bien se représenter la coiffeuse. Ou le coiffeur… à la réflexion je ne sais plus bien. J’ai essayé de me remémorer la voix… mais en fait ça ne m’aide pas plus ; c’était une voix féminine, mais ça ne m’avance pas. En revanche, ce qui s’est imprimé pour le restant de mes jours, c’est cette expression « à la rigueur ». Je trouvais qu’il n’y avait rien de rigoureux ; rien de rien. Ni la construction des phrases, ni l’attitude. À ce propos, le masticage de chewing-gum est toujours du pire effet, mais là, je n’apprends rien à personne. Enfin personne de lettré.
Ce que j’aime chez le coiffeur, c’est le rythme, cadencé, ritualisé, immuable. Tout commence au définitif : « Bonjour, j’ai RDV ». C’est le top départ duquel tout découle. Ôtage des vêtements. Accrochage dans la penderie. Enfilage de l’espèce de chemise-de-nuit-satinée-sans-manche-qu’on-sait-jamais-si-on-la-met-par-devant-ou-par-derrière. Trajet jusqu’aux bacs. Intallation. Hop, petite serviette derrière la nuque. Basculement de la tête à 90°. Top, deuxième départ, le shampoing. Eau glacée. Eau brûlante. Et là la shampouineuse invente l’eau tiède (pas de sot métier). Shampoing glacé. Massage capillaire et testal. Même raté c’est un moment agréable. La zone est sensible, c’est comme ça, c’est comme ça. Hop derrière les oreilles. Rinçage (eau froide – dégoûté). Pour les plus chanceux (ou les plus crades), deuxième shampoing. Puis séchage avec un petite serviette rêche. Tordage de tête, mal à la nuque. Trajet jusqu’au trône, face miroir. Explication de la commande : « on coupe, mais on garde toute la longueur ». Coupe. Dissertation à l’orale : sujet : « les gens célèbres ont-ils plus ou moins de problèmes que nous ? ». Variante possible : « Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? ». Coupe. Apposition d’un miroir derrière la nuque pour demander au client impuissant s’il en est satisfait. Réponse par l’affirmative. Ôtage de la chemise-de-nuit-satinée-sans-manche-qu’on-sait-jamais-si-on-la-met-par-devant-ou-par-derrière. Retour par la case vestiaire. CB. Merci. Au revoir.
En quittant le lieu, je restai médusé devant le spectacle qui s’offrit à moi. Un coiffeur en faction préparait un feuilleté au saumon sur la tête d’une vieille dame. Rousse par ailleurs. Ca m’a scotché, ça m’a scié, ça m’a assis. Autant de papier d’allu sur la tête, j’avais jamais vu. Il paraît qu’après ils la passent au four. On m’a dit que c’était en fait pour les mèches et que ça n’avait rien à voir avec un feuilleté au saumon (fut-ce l’odeur). J’étais rassuré. Je partis soulagé, le cheveu léger, la cervelle reposée.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire