mercredi 24 mars 2010

THE CRANBERRIES @ Le Zénith de Paris


Au préalable: Petite Bio perso des Cran’ :

En 1990, deux frangins irlandais (guitare et basse) flanqués d’un troisième laron (batterie) s’essaient au rock parodique sous l’impulsion d’un quatrième comparse auteur/chanteur qui écrit des chansons du style : « Ma mère s’est noyée dans une fontaine à Lourdes ». Ce fou furieux s'imagine que le groupe est sans avenir. Il se fait la malle et avant de partir leur conseille ad’auditionner Dolores O’ Riordan. Banco ! La demoiselle séduit vocalement les 3 irlandais. En plus elle écrit des textes.
En 1990, sur leur première cassette démo, on trouve deux titres : Linger et Dreams. Deux réussites, pourtant s’ensuivront trois années de galère…
Premier album sorti en 1993 qui n'est pas un grande réussite. La consécration arrive en 1994 avec le sublime « No need to argue » dont le single « Zombie » traite de la guerre civile en Irlande du Nord. S'ensuivent trois autres albums.
Entre 1993 et 2001, le groupe sort 5 albums qu’il vend à près de 40 millions d’exemplaires, dont la moitié grâce à « No need to argue ».
En 2003 Dolores annonce que le groupe fait une pause car ils sont fatigués. Elle enregistre un album. Fait une tournée. Puis un autre album. Et là, PAF, elle ne fait pas de tournée solo, mais annonce qu’elle repartira en vadrouille avec ses trois potes.
Entre novembre 2009 et octobre 2010, 40 dates sont prévues en Amérique du Nord et Sud (dans des salles de taille modeste) et 40 en Europe (dont 18 zéniths en France, ce qui est considérable mais à la hauteur de l’amour que l’Hexagone voue au groupe – qui le lui rend bien).
À l'issue de ces dates le groupe sortira un sixième opus et repartira en tournée.


22 mars 2010 : The Cranberries au Zénith de Paris

Cette date est complète depuis 5 mois. Et comment ! Les Cranberries reviennent après 7 ans d’absence dans une salle à la hauteur du groupe sans atteindre les proportions inhumaines du POPB-Bercy. Dans le public, tous les publics. Tous les sexes, tous les ages. Dolores n’a pas 40 ans. On en trouve qui ont son age, quelques-uns sont même plus agés. Le gros des troupes est trentenaire. Beaucoup sont vingtenaires comme votre serviteur et ont écouté les Canneberges à la radio lorsqu’ils étaient au collège/lycée. À l’époque cette musique plaisait à tout le monde, on enregistrait les morceaux sur cassette audio et on achetait les singles. Il n’y avait pas Internet, ni youtube, ni deezer, ni téléchargement légal, ni téléchargement illégal. Quelques-uns dans le public ont moins de 20 ans, ils sont venus en bande et ont probablement découvert le groupe sur jiwa.fr. Les filles sont beaucoup trop maquillées et pensent être désirables dans des hauts en lycra beaucoup trop ceintrés. Les garçons peinent à s’extirper du mal-être acnéique et de l’enferaillement dentaire auquel ils sont acculés. Pourtant ils sont là et vibrent aux mêmes chansons que moi à leur age. C’est un peu magique.
PS : Constat empirique : le public des Cran’ est plus petit que celui de Depeche Mode (qui fut mon dernier concert). Autant vous dire que quand tout le monde fait une tête de moins que soi et qu’on est plein centre et au 10e rang de la fosse, c’est du gateau, de la tarte, de l’or en barre.

Je fais court sur la première partie : Richard Walters. C’était gentil, en dépit de ses accents un peu trop JamesBlunt-iens que venait modérer un violoncelle aux délicieuses sonorités irlandaises qui permettaient de « se mettre dans le bain gaélique ». Après un set d’une huitaine de chansons, ils s’en vont. Le public applaudit. Et là mon voisin de gauche, d’habitude lourdeau dans ses analyses établit un constat implacable : « ce qui est terrible c’est que le groupe ne sait pas si on applaudit parce qu’on a aimé ou parce qu’on est content qu’ils se taisent ».

Le noir se fait. Les technicos s’activent. Le noir se défait. L’immense voile (noir) tombe. En fond de scène, on découvre des panneaux argentés suspendus sur trois niveaux qui créent une ambiance un peu électrique. C’est assez neutre, mais plutôt réussi et sert de support aux projecteurs pour créer des ambiances différentes. Le batteur s’installe au fond, les deux frères à gauche (guitariste) et à droite (bassiste), tandis qu’un musicos est là, en sus, à l’extrême droite avec un synthé et tout un tas d’autres instruments annexes. Dolores balaye le front de scène pendant l’heure quarante que dure le concert.

« Analyse » ouvre le bal. Tonique, vivant, irlandais, rock, ce titre donne le ton. Le public connaît, le public apprécie. Aérienne, la voix de Dolores tranche avec les instruments qui l’accompagnent. Son aspect à la fois diaphane et puissant me percute. Il n’aura de cesse de me percuter sur chaque chanson. Parce qu’elle les a écrites et qu’elle les a souvent éprouvées sur scène, Dolorès bénéficie d’une totale liberté dans l’adaptation scénique du répertoire. Elle fait chanter le public au bon rythme, de sorte que les chansons ne sont pas dénaturées : « You are with us. We are with you » répète-t-elle à plusieurs reprises, comme un leitmotiv (à l’image du titre « you and me » chanté en rappel). Elle s’exprime beaucoup entre les morceaux et quasi-systématiquement en français. Elle explique l’origine de l’inspiration d’une chanson « Animal instinct » fut écrite à la naissance de sa première fille. « Just my imagination » est une autre chanson post-natale sur le sacrifice de ses grasses-mâtinées des dimanches de gueule de bois. « Linger » fut la première composition du groupe. « When you’re gone » qui change de signification avec le temps et lui évoque aujourd’hui ses grands-parents disparus. Voilà le genre d’interactions qui font que le groupe n’est pas une machine à jouer de ville en ville et à engrenger des dollars, mais un artiste qui rencontre son public, avec sa sensibilité et selon l’humeur du jour. Dolores a une approche très physique de ses chansons et me laisse la même impression que Catherine Ringer (à la Cigale) il y a quelques temps. Les chansons ont un sens, et l’explication de texte passe aussi par le corps, une façon d’onduler, de marteler, de souligner un mot avec le poing ou la main ouverte. Ces deux femmes ont une approche plus nuancée des morceaux ; douceur n’est pas synonyme de faiblesse et n’est pas antinomique avec la révolte intrinsèque que représente ce mouvement musical. Ce n’est pas un rock viril débile, mais plus un cri à la fois brut et contrôlé. I like.

Les tubes s’enchaînent sans discontinuer, piochés principalement dans les deux albums les plus denses : « No need to argue » et « Bury the hatchet ». Pas rencunier, le groupe joue même « Ordinary day » que Dolores a sorti sur son premier album solo. Ils (les 4+1 larons) ont l’air de bien s’entendre sur scène. Musicalement, les interprétations montrent que les répétitions se sont bien déroulées. La magie fonctionne sur chaque morceau. Et 1h10 après le début, les premiers accords de Zombie résonnent dans le Zénith. Le public assis se lève et la fosse, déjà debout, lève les bras. Transe collective pour ce qui est l’hymne du groupe. Un hymne, tout le monde le connaît, il fait l’unanimité et transcende la salle entière. Pour U2, c’est Sunday Bloody Sunday, pour Mylène Farmer, c’est Désenchantée, pour les Rita, c’est Marcia Baila, pour Depeche Mode c’est Enjoy the Silence, et pour les Cranberries c’est Zombie. Ils ont pu se permettre de le jouer en dernier (avant les rappels) parce qu’ils ont plus d’un tube punchy dans leur sac à jouer avant et que le public n’a pas attendu Zombie pour être galvanisé par une chanson. Toujours est-il que c’était du délire. Évidemment version extended, dark à souhait et participative (what else ?). Autre particularité d’un hymne, il échappe un peu au groupe, le sens des paroles s’est dissipé. Chacun a trop entendu la chanson pour feindre de la redécouvrir en concert. Alors, il s’agit juste de se laisser bercer par l’instant. Apprécier l’harmonie de chaque note qui s’enchaîne selon un ordre magique qui nous fait revivre les moments où on l’a écouté cette chanson, où elle s’est associée à mille événements de sa vie, on était partout et à tous les moments. Cette chanson mille fois est revenue. On était seul chez soi, sur la moquette de sa chambre d’ado, dans la voiture, dans un TGV de nuit traversant la campagne, à l’autre bout du monde, hier encore au réveil ou sous la douche, dans le trajet en métro menant jusqu’à ce concert, en hésitant entre telle ou telle paire de rollers chez Go sport, après une rupture, avant une rupture, après une rencontre, avant, pendant, un jour d’anniversaire, un soir de pleine lune, en clip sur MTV, au détour d’un sourire, à l’ombre d’un chêne, au creux d’une épaule, dehors, dedans, ici, partout, et l’on ne sait plus, mais tout ça s’accumule, sédimente, et donne… du relief, à une chanson qui parle de tout sauf de ça, elle parle de guerre de morts, de haine, et pourtant elle donne du baume au cœur, parce qu’elle nous accompagne ; morbide compagnon, mais compagnon quand même ; fidèle comme une ombre, chaude comme un cœur amoureux et éternellement jeune et douce comme un sourire ami. En la jouant sur scène, il n’est pas impossible que le batteur en est la nausée, mais rien ne transparaît, la chanson se (re)constitue sous nos yeux comme au premier jour et se répercute en chacun de nous selon nos histoires respectives, avec la certitude toutefois que nous ajoutons là tous ensemble la même couche, et pas des moindres : une version live d’un groupe qui revient après 7 ans d’absence avec une Dolores en pleine possession de son incomparable voix. À la fin de cette chanson le groupe salue.

Le public se déchaîne pour rappeler les quatre irlandais, qu’il accueille au bout de 4 minutes en secouant des ballons aux couleurs de l’Irlande. Dolores apprécie. Elle chante « Shattered », « You and Me », « The journey » et… « DREAMS » (écouter ci-après et ci-contre). Cette ultime chanson est ma préférée. Tonique, vivante, irlandaise, rock, elle clôt magnifiquement le concert, comme « Analyse » l’avait commencé. Du grand art. Chapeaux bas les artistes.

PS : la playlist complète du concert est à
- lire ici : http://www.setlist.fm/setlist/the-cranberries/2010/le-zenith-paris-france-3d4a133.html
- écouter ici : http://www.jiwa.fr/#playlist/559809
(les chansons après « Dreams » n’ont pas été chantées au concert, mais méritent tout de même d’être écoutées)

The Cranberries, "Dreams" @ Zenith de Paris (22 mars 2010)

lundi 22 mars 2010

Bus Palladium



Paris, 1980s, Lust est un groupe de rock composé de cinq amis d’enfance qui se lancent et cherchent à percer. Ils arrivent bien après les Stones et ne sont ni anglais ni américains. Pourtant ils ont du talent.

Typiquement le genre de film que j’aurais aimé aimer. Constat amer, le film est insipide ou, pire, avec un goût de déjà-vu, mais on ne sait trop où. À y réfléchir c’est dans notre tête qu’on l’a déjà vu, après avoir lu synopsis. Le film est propre, mais peut-être trop propre. Et lorsque l’on parle du Rock n’ Roll, il faut peut-être lâcher la bride dans la réalisation. Là c’est attendu, presque cliché. Oh on ne s’ennuie pas, non. Mais on ne s’enflamme pas non plus. Pour sûr, les comédiens sauvent la mise. Une mention extra-spéciale à François Civil qui joue Mario, un des cinq larrons de la bande qui, non-musicien, s’improvise agent/impresario. Comédien très drôle et toujours juste (et très drôle – même si je l’ai déjà dit). PS: Il est au premier plan sur la photo supra.

La trame narrative est convenue : le groupe tient à la force du couple leader-guitariste que vient mettre en péril une jeune fille mignonne. Et puis en fond, bien entendu, la drogue, les filles, le petit succès, une BO Rock, la maison de disques, la salle de concerts (bus palladium), etc. Le film commence par l’enterrement du leader du groupe puis fait un flash back d’une heure trente sur les deux années précédentes qui conduisent à cette scène au cimetière. On n’aura donc rien à se mettre sous la dent en guise d’éléments de surprise. Dommage. Ce qu’il en reste est plaisant à regarder, mais à la fin il n’en reste rien… comme un mauvais chocolat qu’on suce : bon dans l’instant, oublié une fois l’instant passé. La chanson finale est « Rock n’ Roll Suicide », peut-être la plus belle chanson de tous les temps. Elle colle au thème du film puisqu’un chanteur de rock se… suicide. Elle colle parfaitement au thème, trop parfaitement. D’ailleurs la chanson est coupée au moment des génériques qui défilent sur une musique originale. On aurait préféré rester avec le grand David. Une fois sortis de la salle, c’est un peu le cas. Le film est oublié, mais la chanson de Bowie raisonne encore.

TV: La soirée électorale



La Un, la Deux, la Trois. Tout le monde sur le pont pour une soirée électorale « d’exception ». On n’a pas le don d’ubiquité, mais avec la zapette on l’a presque. 1-2-3-1-2-3 ou 2-1-3-2-1-3 ou mille autres possibilités. Chacun y va selon son inspiration.

Sur la Deux, c’est viril mais correct. Pujadas est là pour être sérieux, pour parler, pour animer le plateau. Elise lucet est là pour faire une annonce tous les quart d’heure : « merci Elise ». On sent le côté service public : un homme, une femme. Méthode Chabadabada, comme pour les listes aux Régionales. Parité. Tout bien tout bien. Neutralité. Mais bon faut pas délirer quand même : « merci Elise ».

Sur la Trois, on est encore en grève, comme au premier tour. Ou si on ne l’est plus, on ne fait pas la différence. Est-on sur un plateau de fromages national ou régional… on ne sait. Parfois un journaliste lance un duplex avec Zorro. Fausse manip’, c’est juste que dans ladite région, les techniciens sont en grève et que pour occuper l’espace, en lieu et place d’une soirée électorale, on (re)diffuse Zorro.

Sur la Un, c’est toujours très glam. Ferrari à paillette, Chazal à gogo, on donne dans le sourire, le plateau est en platinium brut, les invités sont peu nombreux, ils ont de l'espace, ils sont à dix mètres les uns des autres. Et y'a de la qualité les enfants: personne ne refuse une invitation sur la première chaîne. Aussi, à 20h00 (heure du crime), le plus beau plateau de fromages est sur la Un. On a les top leaders (comme YSL se payait les Top-Modèles) : X.Bertrand, C. Lagarde, B. Delanoë, L.Fabius, C.Duflot, MG.Buffet. Et on ne s’encombre pas de l’extrême droite qui signe pourtant avec cette élection son grand retour sur l’échiquier politique. Le Pen (père ou fille) n’est pas assez glam probablement. Lagarde écharpe Fabius sur la politique fiscale, celui-ci réplique. On se dit qu’il va y avoir un débat. Mais non. Game over. Comme à plusieurs reprises. Lolo Ferrari interrompt tout le monde par un quelconque prétexte : annonce d’un duplex ou d’un bilan des résultats « région par région ». Pourquoi ? « Parce que c’est important ». C’était pourtant amusant d’entendre Kiki Lagarde nous prouver par a + b que le bouclier fiscal a pour vocation de bénéficier aux foyers les plus modestes. On n’aura pas le détail de la démonstration malheureusement. Tout s’enchaîne inéluctablement : la déclaration de FF (F.Fillon), celle de M.Aubry, celle de Frêche (so not « fresh »), etc. Et toujours le même constat : Lorsqu’ils sont en duplex, les hommes politiques attendent que TF1 leur donne le feu vert pour parler. Du coup sur France 2, ça poireaute alors que sur TF1 ça bataille féroce sur le plateau de fromages. Ah, on voit bien où est le pouvoir… Celui qui domine c’est celui qui fait attendre l’autre. Retour sur le plateau-TV : la droite ne reconnaît pas sa défaite. Et, comme tout mauvais accusé, tout en disant qu’elle n’a pas perdu, elle trouve quand même un alibi à sa défaite : la crise « sans précédent que traverse notre pays ». Après tout ça ne mange pas de pain. On s’approche à grand pas des 20h45. Dans l'oreillette, on dit aux deux dames qui animent le plateau qu'on va finir avec 20 minutes d'avance, parce que "Oh, hé, hein, bon". Finito la politique, place au spectacle, place au rêve : « Les Experts ».

mercredi 17 mars 2010

"Luchini lit Murray" au Théâtre de l'Atelier



Je ne m’attendais pas à revoir Fabrice Luchini sur scène avant un petit moment ; lui qui vient juste de terminer son « Point sur Robert » que j’avais adoré. Oui mais voilà, le 2 décembre 2009, à la demande de la veuve de Philippe Muray, Luchini a fait une lecture de cet auteur à La société des gens de lettres. Ca n’avait pas vocation à aller plus loin. Seulement ce fut un franc succès. D’où l’idée de le proposer à un public plus large que les membres de ce cercle restreint et privilégié. De ce point de vue l’objectif est atteint, grâce à des places à bas prix (15, 20 et 25 eur.), et grâce au choix du théâtre. Le théâtre de l’Atelier se situe dans le XVIIIe arr., il est mignon, accueillant et chaleureux. C’est l’anti-Marigny, l’anti-Théâtre des champs Élysées qui sont vastes et froids. Dans sa composition, le public était varié. Dans son attitude, il était éveillé et trépidant. L’écueil d’une lecture publique, c’est l’ennui, la froideur, la bien-pensance des « intellectuels pourris de Paris »*. C’est trop souvent le cas. Mais là, rien à voir !

Évidemment il arrive en terrain conquis et reçoit une salve d’applaudissement en montant sur scène. Il s’assoit à côté d’une table où sont disposés quelques ouvrages. Derrière lui le rideau est fermé renforçant le sentiment de proximité. Ce n’est pas une leçon de littérature, c’est un agréable aiguillage. En ce sens, même si le public est sien, il aime le prendre à rebours, le taquiner, l’entraîner sur des voies inconnues. Luchini commence par un court extrait de Cioran au cynisme inégalable et, ironique, nous prévient que ça c’est pour se détendre avant d’aborder des textes plus pessimistes encore. Puis il lit Philippe Muray. C’est un décryptage aigü du monde moderne dans ce qu’il a de plus absurde et sinistre. Il moque une époque où trônent l'hyper-festif et l'infantéisme. Ca fait rire autant que ça interpelle. Luchini s’atarde sur certains mots ou expressions, par simple amour de la langue et de la musique qu’elle produit. En ce sens il donne du relief au texte, une troisième dimension. Le texte est mis en espace. Pour le spectateur, écouter devient jouissif. Le comédien-lecteur procure autant de plaisir qu’il ne semble en prendre partageant ces textes. L'Art est placé très haut et il ne s'agit pas de l'abaisser, mais de nous élever.

Luchini est là aussi pour mettre en garde et nous aider à prendre de la distance par rapport aux écrits de Muray. Car l’on aurait vite fait de se laisser prendre au piège du style, qui est si fluide et si persuasif. Muray fut un pamphlétaire autant qu’un écrivain et un penseur, et il a beaucoup plus tapé à gauche qu’à droite, de manière parfois hargneuse. Mais dans les textes que nous fait découvrir Luchini, c’est sa peinture du monde actuel qui frappe juste et fort. Le poème sur la jeune touriste occidentale altermondialiste est criant de vérité. Luchini se délecte de pouvoir par moment interpeler et choquer certains. Dans l’ensemble, l’auditoire reste suspendu à ses lèvres, se régalant de chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe qui est sublimée par l’élocution luchinienne. Ce spectacle n’est pas un spectacle, mais une lecture. Le précédent accordait une place immense au récit par Luchini de sa rencontre avec Barthes ou à ses imitations de Johnny. Lundi dernier, toute la place est revenue au texte. Deux jours après, il raisonne encore en moi.


PS : Le seul extrait disponible sur le net d’un texte de Murray sélectionné par Luchini concerne Ségolène Royal. À vous de juger.
http://www.nouveau-reac.org/textes/philippe-muray-le-sourire-a-visage-humain/


*: Expression de Ph.Caubère

lundi 15 mars 2010

Démineurs (The Hurt Locker): 6 Oscars 2010

Le spectateur suit une équipe de démineurs d'élite pendant la dernière guerre d'Iraq. Ils sont trois: le chef un peu fou, insaisissable, mais vaillant; son audace frise l'héroïsme. Il est flanqué de deux comparses: un grand gaillard, black, qui cache ses angoisses métaphysiques derrière un sacré sang-froid et un autre gars, plus chétif et craintif qui préférerait être ailleurs, loin, loin d'ici. Mais ils sont tous en Iraq, dans le bourbier d'une guerre d'occupation, urbaine, paranoïaque: comment ne pas l'être dans un conflit où il n'y a pas de "front" de bataille, mais où les insurgés sont mêlés aux civils. En qualité de démineurs, ils sont dans une position encore plus délicate, puisqu'ils doivent intervenir dans des zones pas toujours "sécurisées". Grâce à l'excellence de la mise en scène, la tension permanente hypnotise le spectateur. La réalisatrice, Kathryne Bigelow sait ne pas tomber dans le manichéisme. Ce film n'est pas une ode à la vertu des soldats US, ni un documentaire apitoyé sur le sort du peuple iraqien. On y vit le conflit de l'intérieur, on (re)découvre ce que c'est qu'une guerre et qu'il n'y en a aucune de "propre". Le film se veut aussi psychologique, sans être moralisateur. On voit la part de folie qui pousse le personnage principal à courir derrière ce frisson, cette adrénaline du moment où il désamorce des bombes qui, s'il se trompait, le transformerait en bouillie. À un moment, face à la plus grosse des bombes, et alors qu'il s'apprête à la désamorcer, il retire son équipement de protection et a cette phrase géniale:
"There's enough bang in there to blow us all to Jesus. If I'm gonna die, I want to die comfortable."
Mais ce n'est pas que cette part de folie inconsciente qui le pousse à retourner quotidiennement se mettre en danger, c'est aussi et surtout l'absence de sens de la civilisation américaine qui met en rayon des kilomètres de yaourts sur plusieurs étages, mais qui n'offre rien d'autre qu'une société de consommation. Il a pourtant femme et enfant. Est-ce assez pour donner une signification à son existence ? Pas pour tout le monde...

lundi 8 mars 2010

The Ghost-Writer Vs. In The Loop



Deux films autour d’un Premier ministre britannique par temps de guerre en Irak. Évidemment c’est de Tony Blair qu’il s’agit, mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est l’atlantisme du personnage et sa façon « renouvelée » de faire de la politique. Dans les deux films, on voit les dessous de la politique, les jalousies : Femme Vs. Secrétaire, Ministre Vs. Ministre, Ministre Vs. Premier ministre, Hommes de l’ombre Vs. Hommes de lumière…

The Ghost-Writer, de R. Polanski

Thriller politique impeccable. On suit Ewan McGregor, écrivain de l’ombre (un nègre pour ainsi dire) qui est chargé d’écrire les mémoires d’Adam Lang (Pierce Brosnan), jeune ex-Premier ministre. J’imaginais que le film porterait sur l’échange entre ces deux personnages. L’un voulant réécrire son histoire à sa main, pour la postérité. Et l’autre en quête de vérité, souhaitant révéler au monde qui est l’homme qui se cache sous les habits du politique. Le film traite en partie de ça, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel c’est la tension qui se niche partout : dans le décor, dans la musique, et dans l’intrigue : le précédent nègre d’A.Lang mort d’une mort douteuse alors que le manuscrit n’était pas terminé, non dits, zones d’ombres, des mensonges, des indices. La palette des techniques est hitchcockiennement maîtrisée : ironies, froid suspens, accélération du rythme, ambiguïtés, angoisses, paranoïa. Le film est riche, derrière une réalisation sobre mais bigrement réussie.

PS : On saluera la présence inattendue de Kim Cattrall (Samantha dans Sex&TheCity) qui joue la « première assistante » au service de Monsieur Lang depuis si longtemps.


In The Loop, de A. Iannucci

Satire drolatique flamboyante. Le style est tout autre. Les actions s’enchaînent comme des perles. Le ton n’a rien d’oppressant, mais atteint le niveau si difficile de « hautement comique ». On suit Toby, stagiaire fraîchement débarqué au sein du cabinet du Premier ministre et qui assiste à des scènes hallucinantes dés son premier jour. Les caractères des personnages sont poussés à l’extrême pour créer une langue drolatique et des situations cocasses. Ô que les dialogues sont ciselés. C’est jouissif comme les montagnes russes. Ça n’arrête pas. Et bien sûr la britannique ironie qui va avec. On voit l’Histoire se faire par le petit bout de la lorgnette : les petites mains qui tentent de savoir dans quelles salles sont les réunions de leurs boss, des ministres de paille s’embourber dans leurs propos (quand ils trouvent quelque chose à dire). Et avec tout ça les médias, le tourbillon de l’actualité, le microcosme des décideurs… La nuée des inutiles… Les lâches qui succèdent aux hypocrites… Cette satire politique depuis les coulisses frise le génie.

jeudi 4 mars 2010

Mylène Farmer à l'Élysée

Mylène Farmer sur les marches élyséennes

Elle sort peu. Elle se fait rare. Elle est comme ça, ce n'est pas feint: mystérieuse. Peut-être une façon de se préserver. Qu'importe. En tous les cas, cela met d'autant plus en relief ses quelques apparitions médiatiques. Dans le désert de son silence, les fans ne sont jamais repu des quelques oasis médiatiques auxquels consent la "belle rousse".
Du fait de son importante notoriété en Russie, la chanteuse fut invitée (ainsi que Patricia Kaas) par le chef de l'Etat à prendre une part au dîner officiel donné en l'honneur de M. Medvedev. Enfin un peu plus qu'une part, selon l'appétit de chacun. Pour ce genre d'événement - il s'agit tout de même d'une visite d'Etat - le protocole est immuable: on entre par la porte d'entrée! Ca peut paraître anodin, mais bon, ça veut surtout dire que tous les médias sont parqués là pour faire de belles photos en couleur bien glamour qu'on mettra dans les magazines.

Dans le cas de M.Farmer, que s'est il passé?
Jusqu'aux marches tout se passe bien: Le sourire est radieux, la robe asymétrique met parfaitement en valeur un corps que beaucoup envient, les talons hauts affinent la jambe et donne un élan de la plus grande élégance à la démarche de la chanteuse.
Mais dès la troisième marche, c'est le drame: le sourire est moins radieux, la robe bien qu'encore asymétrique ne met plus tellement en valeur quoi que ce soit (par ailleurs plus personne ne l'envie), et surtout les talons n'affinent ni n'allongent plus rien, mais tendent à ratatiner la personne dont la démarche en prend un sacré coup.

Alors que s'est-il passé?
Ce genre de catastrophe ne peut qu'être polyfactorielle. C'est exactement comme le Titanic. Il y a désastre parce qu'il y a cumul de fautes: un guet pas assez vigilant, un commandant de bord qui veut aller trop vite, un manque cruel de canots, etc. Résultat des centaines de morts. Eh bien là c'est la même chose: Les talons sont trop hauts, la robe est trop asymétrique, les portiers manquent de vigilance et de prévenance et surtout les paparazzis sont trop oppressants (Cf. Lady Di qui ne s'est jamais relevé d'une course poursuite nocturne).

Développons dans l'ordre:
1° Les cris des photographes. C'est parce qu'elle avance en regardant derrière qu'il y a chute. Comment résister aux cris des journalistes? Comment parvenir à se dire que, non, on ne se retournera pas pour monter les marches parce qu'ils ont fait assez de clichés en bas? Tourner la tête lorsque l'on est apostrophé est un réflexe humain. Il se révèle parfois lourd de conséquences.
2° Talons trop hauts: ça je pense que ce sera compris par tout le monde. Clairement en converse le drame était évité. Elle se serait peut être accroché le pied sur la cruelle troisième marche, mais elle ne se serait pas vautrée. Car oui, elle s'est bel et bien vautrée.
3° L'asymétrie de la robe. Clairement la question de la robe est posée. Ces grands bandeaux de tissus qui pendent sont co-responsables des deuxième et troisième chutes. En effet, elle prend appui sur eux en se relevant, ce qui l'empêche de pouvoir déployer entièrement sa jambe.
4° Le manque de vigilance du portier et du "mec de la sécu". Le premier est en haut des marches, le second en bas. Aucun des deux ne se sent concerné par ce qui est en train d'arriver. Ils se mettent en mouvement en même temps, au moment où il est déjà trop tard. Au final la belle rousse n'aura pas eu besoin de leur aide pour parvenir jusqu'au perron. Pas très gentlemen...

Solution numéro un?
Lorsqu'une dame se présente non accompagnée à une réception, on met à sa disposition un accompagnateur qui lui présente son bras en bas des marches et demeure à son côté jusqu'à ce que Madame soit placée.

Solution numéro deux ?
Peut-être l'Elysée pourrait-il prévoir un monte-personne sur le côté pour les personnes handicapées, mais aussi pour celles qui portent de hauts talons. Ce pourrait être un moyen ludique et efficace d'atteindre l'accueil.


En guise de conclusion je ferai quelques remarques:
_ MF pousse de délicieux petits cris absolument irrésistibles à chaque chute.
_ Les journalistes derrière leur objectif se bidonnent, ce qui est quand même le comble du mauvais goût. Mais bon, comment peut-il en être autrement?
_ Un garde républicain tourne la tête au troisième cri. Je pense qu'ils ont une consigne de ne pas ciller. J'espère que l'intrépide s'est fait limogé pour cette faute grave.

mercredi 3 mars 2010

"A single man", de Tom Ford



1962, Los Angeles.
George Falconer, Pr. d'Anglais à l'Université, apprend par téléphone qu'il a perdu Jim, son "compagnon" depuis 16 ans, dans un accident de voiture. Dévasté, l'homme tente de répondre à une seule question: "Est-il possible de vivre?". Car ce George est déjà naturellement flegmatique. Anglais, Londonien, il semble maintenir en permanence une distance entre les événements et lui. Il a toujours été comme ça, même lorsque le monde avait des couleurs, du temps où son amour était vivant.
Colin Firth interprête brillamment ce rôle solitaire qui ne parvient à se livrer vraiment qu'à sa meilleure amie, sa confidente de toujours qui est jouée par la délicieuse Julianne Moore. Les deux méritent l'oscar. Et le film mérite d'être vu. Le temps est lent, l'atmosphère troublante, sans que jamais on ne s'ennuie. Tom Ford apporte l'esthétisme, la sensibilité et la sensualité qui donnent du souffle au film et l'éloignent de toute mièvrerie. Il fait du sur-mesure brodé au fil d'or. Tom Ford joue et gagne.

"A few times in my life I've had moments of absolute clarity, when for a few brief seconds the silence drowns out the noise and I can feel rather than think, and things seem so sharp and the world seems so fresh. I can never make these moments last. I cling to them, but like everything, they fade. I have lived my life on these moments. They pull me back to the present, and I realize that everything is exactly the way it was meant to be."

Téléphones s'enfilent !

Cette boutique ressemble à un gros cube rouge qui rime avec "elle sait faire", sauf que non, elle ne sait pas faire. On y croise des gens venus changer de téléphone, venu se plaindre de x et y choses, venus rêver devant leur futur "cellulaire". Le spectacle sidère dans sa violence morale, voici quelques saynètes observées à mes dépends alors que j'attendais mon tour.

Un vieux monsieur entre. Je dois à l'honnêteté de dire qu'il était même très vieux, du genre croulant. Nul doute qu'il allait se faire avoir le pauvre. Il voulait un téléphone usuel qui donne l'heure et permette de téléphoner. Il repartit avec un truc qui clignote dans tous les sens et qui prend des photos de 5 millions de pixels qu'il pourra relier à son non-ordinateur grâce à un fil qu'il n'a -dieu merci- pas acheté. En revanche il succomba bel et bien à la tentation de souscrire à une assurance complémentaire de 8 euros par mois au cas où il arrivât quelque chose à son joujou. Le pauvre homme n'avait pu se rassembler pour faire le calcul simple que cette cotisation coûtait en fait un bras, et même le prix d'un téléphone en quelques mois de versement... En partant, médusé face à l'engin bourré de technologie, le vieillard regarda comme il put le vendeur et lui demanda, comment en s'excusant: "Pouvez-vous m'aider à régler l'heure?". Si le pauvre type redoutait déjà d'échouer dans son entreprise de régler l'horloge, il n'était pas au bout de ses peines.

Deuxième situation une dame. Oui, une dame comme le VIIe arrondissement en produit de plus typiques. Sûre d'elle, le regard sévère, la jupe droite, le talon haut, la voix qui porte, la lunette carrée. Elle était entrée dans la boutique comme d'autres ouvrent la porte de le réfrigérateur . Elle était chez elle et tout le monde l'avait bien compris. Sur son passage hommes et objets semblait plier. Elle n'y alla pas par quatre chemins: "je voudrais m'adresser au responsable de la boutique immédiatement". Son charisme lui permit de n'avoir pas à justifier cette requête et de voir l'employé s'exécuter dans la seconde. Les clients qui s'impatientaient dans la file d'attente demeurèrent silencieux et ne purent que ruminer leur petitesse. Face au grand boss, la dame du VIIe sortit le grand jeu: mouvements de bras, haussements d'épaules, mine effarée. Quelques minutes plus tard on a vu entré dans le magasin un morveux de 17 ans qui rejoint sa mère et se posta à son côté, non sans avoir reçu une taloche. Lui faisait profil bas. La responsable avait l'air gêné également. Apparemment le petit serait venu modifier son forfait quelques jours auparavant, sans l'autorisation de sa mère. Chacun essayait de garder la face. Pathétique. La dame du VII sortit triomphante, marchant deux pas derrière son fils qui avançait tête basse.