jeudi 15 avril 2010

THÉÂTRE: "Colombe", de Jean Anouilh



S’il n’était pas mort, Anouilh aurait eu 100 ans cette année.
Colombe fut créée en 1951 au théâtre de l’Atelier.
Elle est reprise à la Comédie des Champs Élysées pour 4 mois, dans une mise en scène de Michel Fagadau

La pièce raconte l’histoire de… Colombe : une jeune femme mariée à Julien qui attend un enfant de lui. Seulement le jeune homme est pétri de principes et souhaite honorer la mémoire de son défunt père qui était officier. Aussi, il refuse de se faire réformer et s’aprête à aller effectuer son service militaire bien loin de Paris, l’empêchant de gagner assez pour entretenir sa femme et son enfant à naître. Peu avant son départ, dans le besoin, il entreprend de demander de l’aide à sa mère avec laquelle il entretient les pires rapports. C’est ainsi que l’on retrouve le jeune couple dans les coulisses d’un théâtre parisien. Oui, car sa mère s’avère être Mme Alexandra, l’une des deux plus grandes comédiennes de l’époque (en concurrence avec Sarah Bernardt). Au final plutôt que de leur verser de l’argent, Mme Alexandra trouve un rôle à sa belle-fille qui va donc connaître les joies et les rêves d’une jeune première, elle qui n’était promise qu’aux plus sombres destins avec un mari qui refuse de goûter aux joies qu’offre la vie. La candide et fidèle Colombe résistera-t-elle aux attraits de la vie d’artiste et aux avances de ses nombreux prétendants qui profitent de l’éloignement du mari ? À la faveur d’une courte permission, son mari rentre à Paris pour s’assurer de ce que son épouse est restée la même… Déconvenue pour lui, elle s’est émancipée. Pour lui un monde s’écroule, le monde clos qu’il avait bâti autour de leur seul couple mettant des oeillères à sa femme. Pour elle, un monde s’est ouvert, elle respire… Elle comprend qu’avant, elle ignorait qu’elle étouffait.

Voilà pour l’histoire, sur le papier. Mais ça ne suffit pas pour qu’une pièce soit réussie. Il faut que tout le reste suive. Et là c’est le cas : Mise-en-scène subtile, jolis décors (réalistes : coulisses d’un théâtre), belle lumière (qui éclaire bien^^), costumes réussis (bien dessinés et bien cousus) et… excellents comédiens : du premier au dernier rôle. Comme souvent ce sont les rôles des personnages les plus agés qui sont les plus denses et les mieux joués :
- La Surette (le secrétaire particulier de Mme Alexandra) : joué par Rufus dans un irrésistible style « bourvilien ».
- Desfournettes (le directeur du théâtre) : Extra
- Du Bartas (un vieux comédien) : Extra
- Mme George (habilleuse de Mme Alexandra) : Extra, exprime le bon sens populaire avec humour
ET :
- Poète-Chéri (l’auteur de la pièce qui est jouée dans la pièce) : Prix spécial du Jury pour Jean-Paul Bordes qui l’interprête. Il pousse son personnage très au-delà de ce que Anouilh pouvait imaginer et le fait ma-gi-stra-le-ment, avec un pouvoir comique sans borne.
- Mme Alexandra : Mention spéciale également pour Anny Duperey qui l’interprête tout en nuance, avec ce qui sied d’humour et toute la profondeur requise. (Le personnage de Colombe est joué par sa fille: Sarah Giraudeau)

Grâce à cette plongée au cœur du « boulevard du crime » (quartier de la capitale où étaient regroupés les principaux théâtres au XIXe siècle), on passe une excellente soirée. On se satisfait de voir triompher le désir sur la peur de vivre, et l’on s’effraie de voir en quoi ils sont fragiles et éphémères ces serments d’amour d’un jour et les "pour toujours". Certaines tirades raisonnent encore, longtemps après qu’elle furent prononcées : Comme Julien, au dernier acte : « En marchant dans les rues, je t’ai parlé tout ce soir, tout haut. Je t’ai tout expliqué. Les gens me regardaient, ils devaient croire que j’étais fou. Je les heurtais, je leur demandais bien poliment pardon et je continuais. C’est drôle : on peut très bien marcher, sourire, traverser les rues et être mort. Je suis déjà mort. »

Pour information :
3 Nominations Molières 2010 :
Molière de la comédienne : Anny DUPEREY (en Mme Alexandra)
Molière de la comédienne dans un second rôle : Fabienne CHAUDAT (en Mme George)
Molière du créateur costumes : Pascale BORDET

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