Au risque de paraître vieux jeu, vieille école, old school, et tutti quanti , je vous livre cette confidence. Je ne mange la salade verte qu'accompagnée d'un morceau de pain. C'est comme ça. Ca éponge ou je ne sais pas. Mais je préfère. Eh puis le pain, c'est bien. Le rompre, c'est perpétuer un geste christique, le manger c'est saluer un rite ancestral, c'est soutenir le commerce de proximité, c'est encourager la France qui se lève tôt.
Or, au menu de ce soir, salade verte; c'était décidé de longue date. Les lundis soir c'est salade verte. Comme dit l'adage: "salade, jamais malade". Pour pouvoir la manger dans de bonnes conditions, il fallait donc que je prisse les devants.
Direction la boulange. Petite attente. Bien sûr on apprend qu'il n'y a plus de saison. Que la maison ne prend plus les chèques (m'enfin moi je me demande si une fois dans sa vie la maison les as pris nos putains de chèques). On apprend aussi que quand on les fait tomber, les pièces ne repoussent pas. Que dix centimes qui nous font vingt. Que la petite a grandi. Que la vieille a rapetissé. Que le temps passe. Que l'eau ça mouille et que le feu ça brûle.
Rapidement, ce fut mon tour. À croire que le temps passe vite, en effet. Je cède à mon tour aux courtoisies d'usage. Et puis nous en arrivons rapidement à la question de savoir ce qui m'a amené jusqu'ici. Cette question est fort légitime, il y a des tonnes de produits différents dans cette boutique !
La question se pose en ces termes: "Qu'est-ce qu'il lui aurait fallu?". Mieux que le tutoiement, encore plus distingué que le vouvoiement, la troisième personne du singulier. Magnifique mise à distance. Mais ce qui impressionne, c'est surtout l'usage impeccable du conditionnel passé première forme.
C'est donc à moi de répondre. Mais là, blocage total. Trou noir. Il est vrai que je ne prends pas une vulgaire baguette ou un traditionnel pain de campagne. Ca, ça aurait été trop facile. Non, je prends le truc que toutes les personnes habitant seules prennent. Comment est-ce qu'on appelle ça? Je reste un long moment muet face au regard médusé du boulanger m'observant buter sur une réponse aussi simple et prévisible. L'envie me prend de commander un produit quasi-similaire et dont je connais le nom, à savoir la demi-baguette. Je ne tombe pas dans la facilité. Avec toutes les peines du monde, je parviens à trouver un synonyme que j'hurle dans la demi seconde: "une flûte".
Livide le boulanger m'indique que l'on n'est pas à la salle Pleyel ici.
Moi: "Mince, c'est pas ça, alors...
Lui: _ Bon eh bien je vous file une ficelle, comme tous les jours
Moi: _Exactement, c'est tout à fait ça"
(et pourtant on n'est pas dans une cordonnerie).
Morale de l'histoire:
1/ J'aurais dû me contenter d'un "la même chose que d'habitude" au lieu de vouloir faire le malin.
2/ Il est toujours plus valorisant de buter sur des mots compliqués que sur des banalités. Prendre un air pénétré, et laisser un blanc de 20 secondes pour annoncer "ficelle", c'est moche.
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