mardi 5 octobre 2010
Yves Saint Laurent – Pierre Bergé , L’Amour fou
C’est marrant quand j’y pense, parce qu’en allant au cinéma voir ce documentaire, j’ai dû emprunter la rue Berger. Du nom d’un sombre préfet de Seine de la IIe République et non pas en référence à Michel Berger. Bref, tout ça pour dire que dans ce documentaire c’est de Pierre Bergé qu’il est question, de son union avec YSL. Enfin c’est ce que laissait entendre le titre qui avait retenu mon attention et titillé ma curiosité : « L’Amour fou ». Or le film est peu éclairant à cet égard. C’est ce qui m’a posé problème. Si le film choisit de ne pas privilégier le travail d’YSL, alors qu’au moins il explore en profondeur sa liaison avec P.Bergé et toutes ses conséquences… Las.
Le film s’ouvre sur l’émouvant discours d’YSL lors de sa conférence de presse d’adieu au métier de grand couturier qu’il exerça 45 ans avec génie. Déjà malade, on le voit lire un texte très beau, expliquant son choix devant un parterre de journalistes frémissants et d’appareils photos hurlant. Derrière ses épaisses lunettes, il garde la tête baissée sur ses notes qu’il dit avec émotion. Quelques secondes avant la fin de son intervention il se redresse et, à la lumière des flashs, son regard transperce la caméra. À cet instant, l’on comprend tout. La timidité maladive. L’extrême humilité. La mélancholie. La solitude. Et le génie artistique : YSL compte parmi ceux qui on le mieux compris leur époque, tout en étant incapable de s’y sentir bien. Ça veut bien dire quelque chose ça. En 2002, il décide d’arrêter parce que la mode a changé, et il ne s’y reconnais plus. C’est ce qu’on appelle être entier. À ce sujet, ce que dit Bergé est intéressant ; il cite O.Wilde : « Avant Turner, il n’ avait pas de brouillard à Londres », pour dire que les artistes voient avec clairvoyance ce qui reste invisible à nos yeux. D’où leur solitude. Aussi, YSL dit de lui-même en riant qu’il est né avec une dépression. De toute façon je crois qu’il était maniaco-dépressif, alors il n’avait pas bien tort en disant cela. Et cette extrême timidité… que c’est touchant. On le voit donner une interview à 21 ans, alors qu’il a réalisé son premier défilé pour la maison Christian Dior dont il reprit les rennes après la mort de son maître. Le journaliste lui demande s’il est content de cette création, il répond oui. Puis le journaliste lui demande combien de personnes sont chargées de dessiner les modèles présentés. Il répond « une seule » en baissant les yeux puis garde le silence. Et le journaliste de conclure : « et c’est vous ». Il regrettera plus tard de n’avoir pas eu l’insouciance de ses 20 ans, d’avoir eu trop de responsabilité trop tôt. C’est la rançon de la gloire… se voir confier à 21 ans la succession de la maison Dior, qui était la plus renommée à l’époque…
Le film se fonde quasi exclusivement sur le témoignage de P.Bergé qui accorde une large importance aux lieux, aux objets, etc. Du coup à aucun moment il n’éclaire le titre « L’Amour fou »… On a les détails de leur collection. On a les maisons de vacances. Mais on ne sait pas pourquoi ils se sont plu l’un l’autre, ni pourquoi ça a duré… Ou alors quelques bribes éparses. D’ailleurs, on trouve très peu de vidéos où apparait YSL. Il y a beaucoup de photos en revanche, mais ce n’est pas encore assez. Pour ce qui est du détail de leur maison au Maroc, on est servi… Le tout dans une image dont la qualité n’est pas excellente : entre la caméra DV et la caméra professionnelle. Dans les scènes d’intérieur avec peu de lumière, c’est pas joli. Par ailleurs le réalisateur aurait pu se passer des gros plans lorsqu’il filme P.Bergé dans son canapé : on est au cinéma que diable !
Mais qu’importe, pour ceux qui aiment YSL, ça vaut le coup. Ne serait-ce que pour cette scène où, alors qu’il a la trentaine, il répond à un questionnaire de Proust. Hilarre, à la question de savoir comment se composait pour lui le bonheur terrestre il répond : « Dans un lit… » (silence) « … bien rempli ». C’est un des seuls moment où l’on perce un tantinet le personnage. P.Bergé dit qu’YSL ne connaissait que deux moments de joie pleine et entière par an, à la fin des défilés, sous les acclamations. Le reste n’étant que travail et tourments. Dans une interview à une télé américaine (ce n’est pas dans le film), je l’ai entendu dire : « Even without me, YSL is a genious ». Heu ! oui merci, on s’en doutait. Vanitas vanitatum, et omnia vanitas.
En sortant du ciné, j’ai emprunté en sens inverse la rue Berger. Deux chats se regardaient en chien de faillence. Belle ironie de la langue française ! Deux chats noirs d’ailleurs. Plus loin deux femmes se croisaient. L’une portait un tailleur-pantalon et l’autre un jeans taille ultra basse avec string apparent et talons hauts (et chewing-gum). Le premier libère la femme, le second l’enferme en faisant rimer liberté avec vulgarité…
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