Les rituels du transport par voie aérienne sont connus de tous ceux qui en ont fait l’expérience. Ce sont des choses dont on se rappelle très précisément parce qu’elles vont à l’encontre de toutes nos habitudes. : pour quelques heures de notre vie, nous acceptons de remettre les clés de notre destinée à un pilote d’avion. C’est au moment où l’on donne son numéro de carte bleu que tout est joué, même si on ne le réalise pas à ce moment là. Tout devient plus concret à l’arrivée à l’aéroport. On y arrive par voie terrestre : route ou rail. Ah ce qu’on est bien les pieds sur terre. Soudain, on les voit en pleine action ces aréopages : ils décollent, ils atterrissent. Ils ont l’air si léger. Ils se posent sur la piste avec la grâce d’un albatros qui longe l’eau pour y puiser poissons. Même le décollage n’apparaît pas comme un arrachement, mais comme l’envol d’un flamand rose en pleine Camargue sauvage. Et le ballet semble infini : décollage, atterrissage, décollage, atterrissage, comme une grande farandole.
Vient notre tour. Enregistrement des bagages. Passage des portiques de sécurité. Présentation aux portes d’embarquement. Montée dans l’avion. Bonjour au commandant de bord et au « reste de l’équipage » qui ne tardera pas à nous souhaiter un agréable voyage en leur compagnie. La déclamation des consignes de sécurité qui est toujours d’un comique efficace. Et puis il y a toujours ce délicieux moment où l’on nous apprend qu’en cas de dépressurisation de la cabine des masques à oxygènes tomberont et qu’il faudra tirer dessus pour qu’ils fonctionnent. Avec cette précision d’une sublime cruauté : « Veillez à disposer votre masque à oxygène avant d’aider les enfants qui seraient à vos cotés ». Puis c’est la ceinture de sécurité « jusqu’à l’extinction de la consigne lumineuse ».
Bref, jusque là tout va bien. Le décollage s’effectue. Et là les choses sérieuses commencent : la bouffe. En ce qui me concerne, lorsque intervient ce moment privilégié, je suis tiraillé par un double sentiment de jouissance et de déception. Quelle que soit la classe où je me trouve d’ailleurs. Jouissance d’abord parce que je ne puis m’empêcher de trouver ça extraordinaire de se voir servi un repas « chaud » alors qu’on file à près de 900km/h à une dizaine de kilomètre d’altitude. Pour moi c’est du domaine de la prouesse. Alors être là, quiché dans mon fauteuil à attendre la bouche en cœur qu’une dame vêtue d’un foulard bicolore autour du coup m’apporte des victuailles… cette situation m’emplit de joie. Et bien souvent, je constate que je suis le seul à accueillir avec chaleur le « personnel de bord ». Mais derrière ce sentiment, il y a toujours la constatation du désastre culinaire, du Waterloo gustatif, du juin-40 gastronomique. Même au plus profond de mon enfance, lorsque insouciants nous nous amusions dans la cour de récréation de l’école maternelle et primaire, je n’affectionnais pas le moins du monde de jouer à la dînette. Il va sans dire que c’est encore le cas aujourd’hui que je fais un mètre et 50kg de plus. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : jouer à la dînette. Le tout étant corsé par les secousses qui remuent l’avion de temps à autre et par le périmètre restreint du plateau sur lequel gît le repas. Lequel plateau étant habilement posé sur une tablette dépliable qui sort comme par magie de l’accoudoir. Bref, je défie quiconque de parvenir à se nourrir sur un tel château de cartes, sans provoquer de catastrophe. Et lorsqu’une catastrophe intervient, le pire est encore à venir : comment réparer la catastrophe sans faire empirer la situation. Autrement dit, comment, dans un espace aussi confiné, est-il possible de ramasser un petit poix tombé à ses pieds, sans renverser son jus d’orange ?
Puis le vol se poursuit, tout en perturbations, ceinture, queue aux toilettes, ceinture, lecture, extinction de la consigne lumineuse, tentatives d’endormissements ratées, mais tentatives réussies pour son voisin de gauche qui vous bave sur l’épaule adjacente. « Préparez-vous pour l’atterrissage ». Atterrissage. Attente. Sortie… Et… et l’essentiel…
Attente devant le tapis roulant qui fait défiler les bagages disposés en soute. Les valises sortent comme les numéros du loto. Certains ont du bol et choppent la première valoche qui sort, d’autres attendent une heure (oui une heure), d’autres sortent perdant et rentrent bredouilles, comme des maillons faibles, au revoir. Et tout le monde connaît cette règle, c’est la raison pour laquelle personne n’est vraiment détendu pendant cette ultime phase du voyage. Sauf les enfants qui crient partout. Alors nous on attend, patiemment. D’ailleurs, il arrive toujours un moment où l’on se dit que c’est perdu. Après 30 minutes, quand la majorité des passager s’est fait la malle… on commence à se sentir mal. Personnellement j’en viens toujours à penser que quelqu’un est parti avec ma valise et que j’attends pour rien. C’est long, long, long. D’autant plus long qu’inutile. On égrène toutes les choses indispensables qui se trouvent dans le bagage tant attendu. On se dit qu’une indemnisation au kilo ne fera pas le poids et qu’on perdra beaucoup de temps et d’argent à l’affaire. On se résigne. Augustes face à notre destin, on finit par regarder partir les autres sans jalousie. Puis, on veut faire diversion. On passe quelques coups de fil, on écoute de la musique. Mais la réalité et là, devant soi, matérialisée par une absence de valise. Un non-bagage qui ne tournicote pas sur le tapis roulant comme les affaires des autres passagers. Pourquoi moi ? On se le demande ça, hein. Mais pourquoi moi ? Voire, pour les adeptes de blasphèmes : Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire au bon Dieu pour… etc. Est-ce une vengeance quelconque ? Et puis au bout du bout, il y a le miracle qu’on n’attendait plus. La valise finit par apparaître, comme la Sainte Vierge devant Bernadette. On la sert contre soi. On lui jure que plus jamais on ne se séparera d’elle. Puis on la fait traîner derrière soi sans plus d’attention qu’à l’accoutumée, parce que bon, c’est pas tout, mais nous on a un métro à prendre pour rentrer à la case.
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1 commentaire:
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